— Hola, como estas ?
— Hola, muy bien,
gracias.
La conversation s’engage plutôt bien.
(En espagnol dans le
texte) :
— D’où venez-vous ?
— De Martinique.
— Il y a
longtemps que vous êtes là ?
— Trois jours.
— Avez-vous fait les
formalités d’entrée ?
— Non pas encore. On n’a vu personne. On
pensait les faire ici à la base militaire.
— Ici ? Non. Il y a longtemps
qu’il n’y a plus personne dans cette base. En fait elle n’a jamais
servi.
— Vous êtes ici pour le tourisme, vous faites de la plongée
?
Vu l’attirail sur le bateau, Patrick arrange un peu :
— Je
travaille pour Géo. Je participe à une grande enquête sur tous les pays du
monde qui ont su préserver les coraux et qui va mettre à l’honneur ceux qui
participent à cette protection. Les îles du Venezuela sont exemplaires à ce
niveau et devraient servir de modèle à beaucoup d’autres pays. C’est ce
que je voudrais essayer de démontrer. Attendez. Deux secondes.
Patrick
descend dans le bateau. Tous le regardent faire sans vraiment comprendre, puis
il revient avec sa carte de presse qu’il présente au militaire. Celui-ci
semble apprécier. Tout cela lui fait plutôt plaisir, il se sent honoré mais
demande quand même :
— Pourrais-je voir vos passeports ?
Alex
descend dans le carré et ressort avec la pile de passeports qui étaient
rassemblés dans un tiroir justement pour ce genre de visite et, comprenant un
peu ce qu’il est en train de raconter à leur visiteur, il a mis celui de
Patrick sur le dessus de la pile. En effet les gens qui voyagent beaucoup, comme
les journalistes, peuvent obtenir un document de type « grand voyageur » qui
a simplement seize pages supplémentaires pour les visas. Et comme malgré cela,
il est presque plein, le militaire va se faire un grand voyage dans sa tête en
regardant attentivement toutes les pages du précieux document et en admirant
tous ces magnifiques tampons, dont certains de son pays, qui ornent ce qu’il
prend sans doute pour une œuvre d’art. Après un tel moment de bonheur, il se
dit que malheureusement, il va falloir le rendre, jette un coup d’œil rapide
aux autres qui ne présentent plus pour lui le moindre intérêt et annonce une
chose que personne n’aurait osé espérer :
— Je vais vous faire votre
clearance, comme ça vous serez tranquilles pour réaliser votre reportage sans
avoir besoin de vous rendre à Margarita pour cela.
Un de ses collègues lui
passe une serviette d’où il tire un bloc et patiemment se met à remplir des
lignes et des lignes avec application. Il demande les papiers du bateau pour
faire encore quelques lignes. Puis tend son bloc à Patrick pour qu’il le
signe car il ne connaît que lui. Pendant ce temps Alex, qui a l’habitude de
ce genre de cérémonie, descend dans le carré et remonte avec l’objet
suprême, le plus important et le seul vraiment indispensable à bord : le
tampon du bateau. Il le passe à Patrick qui l’applique sur les cinq
exemplaires du document. Notre homme est en extase. Pour prolonger son plaisir,
il sort ensuite le sien et l’applique sur une page libre des six passeports en
prenant une attention particulière sur celui de Patrick pour qu’il soit bien
droit. Enfin dans un geste majestueux, lui tend les quatrième et cinquième
pages et garde la première, la deuxième et la troisième. Finalement, il prend
congé poliment et redescend dans son zodiac géant. Ils repartent en laissant
l’équipage du Sirius bouche bée.
— On dirait que tu t’es fait un
ami, dit Alex à Patrick.
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