Vivre avec un journaliste a un aspect
surprenant. À part dans certains cas comme celui-ci, on le voit rarement faire
des photos. On pourrait même se demander pourquoi avec un tel appareil, il
n’en fait pas plus, jusqu’au jour où, après le tri et le classement de
milliers de fichiers, il vous montre ce qu’il a fait. Vous vous apercevez
alors que pendant toute la période passée à ses côtés, vous avez vécu sous
l’œil d’un objectif qui n’a pas manqué la moindre de vos expressions.
Vous vous découvrez épuisé, souriant, excédé, angoissé, triste, énervé,
à la barre, dormant, dans l’effort, dans le cambouis, à la cuisine, en haut
du mat… et vous n’avez rien vu. Toute votre vie est saisie et tout le monde
y a droit sauf lui bien sûr.
Le Sirius repart donc vers l’ouest. Dans un
premier temps, l’idée est de retourner se cacher sous la côte ouest de
l’île. Alex que tous ces voyous commencent à fatiguer, se concentre sur la
marche de son voilier ce qui lui évite de penser à autre chose. Le moral du
bord est en forte baisse, plus personne ne dit rien à part Ursula qui continue
à égrener ses informations pour suivre exactement la route de retour. Patrick
rompt le silence. On se demande de toute façon ce qui pourrait
l’abattre.
— Si notre théorie sur le mode de trafic opéré dans le
coin est juste, le bateau est actuellement chargé et n’a aucun intérêt à
le rester longtemps. Il y a peut-être eu un petit contretemps au niveau du
rendez-vous avec le navire au large. Il est probable qu’il parte bientôt,
décharge sa camelote sur un cargo et rentre chez lui jusqu’à la prochaine
opération, ce qui ne doit quand même pas être si fréquent si on s’en
réfère au nombre de traces visibles sur la piste.
Nina prend la
barre.
— Je ne vois que deux solutions, réfléchit Alex à voix haute. La
première, tous les matins, on refait comme aujourd’hui et tant que la voie
n’est pas libre, on retourne se planquer mais on ne sait pas combien de temps
ça peut durer. La deuxième, on se fixe à House Anchorage et tous les jours,
on rejoint le chantier par le nord de l’île mais le mouillage est un peu
étroit et surtout il y a quinze miles à parcourir au lieu de dix soit dix de
plus par jour et autant de temps pris sur les recherches. En plus on ne peut pas
y entrer la nuit. Et aussi bien de là-bas qu’en route au nord de l’île, on
ne pourrait pas voir partir ce bateau car il serait hors de vue même au
radar.
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