— Ou même personne, dit Murielle. Si
seulement.
— Oui. Actuellement, un Breguet est en train de survoler la
région. On le voit passer, repasser et sa progression se dessine sur le radar
AIS. En voyant la précision avec laquelle ils ratissent méthodiquement le
secteur, on se dit que si eux ne voient rien, ce n’est pas nous, au ras de
l’eau, qui allons trouver. Donc, plutôt que de vouloir faire à notre vitesse
ce qu’il fait vingt fois plus vite et en mieux, on fait route le plus vite
possible en remontant au vent vers le centre de la zone pour se tenir prêt à
se diriger rapidement vers une position qu’il nous communiquerait. Cela va
nous prendre une bonne partie de la journée et pas mal de bords à tirer en
s’aidant parfois du moteur, mais la mer s’est un peu calmée et on va
pouvoir réfléchir plus sereinement. Pour l’instant, on est sur l’idée
qu’il s’est passé quelque chose à bord autour du point 15°38N 66°34W
ayant provoqué un fort ralentissement du bateau. Puis il est reparti, mais plus
lentement, pendant presque vingt-quatre heures jusqu’à un point vers 15°54N
67°55W. Là, il s’est passé quelque chose de grave allant jusqu’à
l’arrêt total du bateau et son évacuation. C’est ce qui nous a paru le
plus probable et qui sera confirmé si les recherches en cours aboutissent. On
va le savoir dans la journée. Sinon, il faut repartir de zéro, oublier
totalement ce qui nous a fait élaborer cette théorie, trouver autre
chose.
— Je viens d’appeler les témoins du départ nocturne, dit
Patrick qui s’était éloigné. Ils sont formels. Il n’y avait pas
d’annexe en remorque et pas d’autre bateau en marche aux alentours. Ils ne
savent pas non plus comment ils ont embarqué car ils ne les ont pas vus faire
et ils ignorent depuis combien de temps ils étaient à bord.
— Bon,
reprend Alex, encore une idée à oublier. Ce qui m’inquiète le plus, c’est
que nous avons nous-mêmes orienté les recherches en partant de cette position
supposée d’évacuation du bateau, car c’est celle où il s’est arrêté.
Essayons de faire abstraction de cette association de faits et considérons ces
événements comme indépendants. Le bateau n’aurait-il pas pu être évacué
précédemment alors qu’il était en route sous pilote automatique ? Puis,
abandonné à lui-même, il aurait fini par avoir un problème, par exemple
l’écoute dans l’hélice, ce qui l’aurait arrêté. Je pose cette idée
uniquement comme base de réflexion, car je sais que telle quelle, elle ne tient
pas. Cela impliquerait l’embarquement dans un bib à partir d’un bateau en
marche, ce qui est pratiquement impossible ou en tout cas extrêmement
hasardeux.
La synthèse vocale de l’ordinateur de navigation annonce un
écart de route et Nina appelle Alex pour les aider à virer de bord. Il
abandonne un moment ses amis à leur visioconférence et monte sur le pont où
l’air lui semble soudain beaucoup plus respirable qu’en bas. Ils virent de
bord, règlent les voiles et Alex redescend dans le carré, maintenant incliné
de l’autre côté. Nina et Béa gèrent parfaitement la route. La progression
est bonne. Il peut à nouveau se concentrer sur ce qui a pu se passer sur
l’Ombre Blanche et retourne à sa visioconférence.
— Si on dissocie le
moment de l’évacuation du bateau de celui où il s’est arrêté, dit
Murielle, il apparaît que le bib a pu être mis à l’eau pendant deux
périodes : à la fin du parcours vers là où vous l’avez retrouvé, mais
aussi pendant les douze heures où il s’est passé quelque chose sans que
l’on sache quoi, pendant lesquelles il n’a avancé que d’une trentaine de
milles. Est-ce que le bib n’aurait pas pu être mis à l’eau à ce
moment-là ?
— C’est encore plus grave, répond Alex, car cela
signifierait que les gens qui sont dedans dérivent depuis une ou deux journées
de plus. Enfin, puisque le bateau a repris sa route, il a bien fallu que
quelqu’un le manœuvre, ce qui voudrait dire que toutes les personnes
présentes à bord ne sont pas descendues dans la survie. À partir de là, deux
scénarios se dessinent. Soit une partie de l’équipage évacue le bateau et
l’autre continue à bord, mais pourquoi, dans quel but ? Soit, et là c’est
terrifiant, une partie de l’équipage met l’autre dans le bib, l’abandonne
en mer et reprend sa route. Dans ces conditions, la zone dans laquelle le radeau
est susceptible de se trouver devient
immense.
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