Pour commencer, Alex va consulter son radar
AIS4 au cas où le transpondeur du bateau soit en marche et que celui-ci ne soit
pas encore trop loin, ce qui est très peu probable. Bien sûr, il n’y trouve
aucune trace. Un transpondeur AIS peut être reçu directement jusqu’à vingt
milles. Mais une flotte de satellites à basse altitude reçoit aussi ces
données sur tout le globe pour les rendre accessibles par internet. Il va donc
se connecter sur le site « Marine Traffic », où sont affichées les
positions de tous les bateaux qui ont donné l’autorisation d’y apparaître,
ce qui est le cas de l’Ombre Blanche. Pas de trace non plus, malgré des
recherches effectuées à partir de son indicatif MMSI5. Alex accède à
l’historique des positions qui s’arrête au Marin. Le transpondeur est donc
resté éteint depuis le départ, ce qui ne l’étonne pas. À tout hasard, il
compose le numéro de téléphone satellitaire du bateau et ne reçoit bien sûr
aucune réponse. Pendant que ses camarades, complètement désorientés,
cherchent des solutions allant de la location d’un avion privé piloté par
Hervé à l’utilisation d’un pendule sur une carte, Alex a une idée à
laquelle il est le seul à pouvoir penser, car l’ordinateur qu’il a
installé pour Raymond à la table à cartes exécute un logiciel de navigation
qu’il a lui-même développé lorsqu’il était en activité dans ce domaine.
Si les voleurs ont probablement pensé à éteindre le transpondeur bien visible
à la table à cartes afin de ne pas être suivis, ils n’ont sans doute pas
voulu se priver de l’affichage de tous les paramètres de navigation et
surtout de la cartographie électronique sur les deux écrans, un à la table à
cartes et l’autre devant la barre, car toute l’électronique de l’Ombre
Blanche est centralisée sur cet ordinateur. Il suffit d'enclencher un
commutateur marqué «Navigation» pour que tout le système soit opérationnel
en trente secondes. De multiples fonctions sont disponibles dans un système
comme celui-ci, dont une qui télécharge automatiquement quatre fois par jour,
à partir d’un gros serveur situé aux États-Unis, des fichiers de base de
données météo baptisés fichiers GRIB6. Ces données, disponibles pour toutes
les régions du monde, sont utilisées pour déterminer la route optimale à
suivre en fonction de la météo prévue ou tout simplement savoir le temps
qu’il va faire dans les prochains jours. Or, Alex a installé en plus, et
uniquement sur quelques bateaux dont le sien et celui de Raymond, un module
spécial dont le but est de diminuer le volume de ces très gros fichiers longs
et coûteux à télécharger par satellite. Pour ce faire, il se connecte à son
serveur privé en lui transmettant sa position et son indicatif, et c’est lui
qui récupère les gros fichiers, recompile les données utiles pour la région
de navigation et les informations désirées, puis les renvoie. Grâce à cette
astuce, le trafic sur la connexion par satellite s’en trouve divisé par cent,
ce qui est loin d’être négligeable. D’autre part, si le transpondeur AIS
est bien visible, le routeur satellite, lui, se trouve enfermé et donc caché
derrière la table à cartes, car il n’y a aucune commande sur son boîtier et
donc jamais besoin d’y accéder. C’est une boîte noire toujours branchée,
même si elle n’est pas noire mais grise. Il suffit que l’ordinateur soit
allumé pour que sa connexion soit disponible, même si le combiné du
téléphone connecté par wifi est éteint, ce qui est probable puisqu’il ne
répond pas. Dans ce cas, l’Ombre Blanche doit transmettre quatre fois par
jour son indicatif MMSI et sa position au serveur privé d’Alex. Il s’y
connecte donc et consulte les logs. Un serveur enregistre toujours toutes les
requêtes qu’il reçoit. Parmi les millions d’enregistrements, dont
quatre-vingt-dix-neuf pour cent ne servent à rien, Alex va effectuer une
recherche avec le MMSI de l’Ombre Blanche pour isoler les demandes en
provenance de l’ordinateur de navigation du bateau. Et bingo ! Non seulement
il en trouve, mais la dernière date de deux heures seulement. Donc
l’ordinateur est opérationnel et transmet régulièrement sa position GPS au
serveur d’Alex qui annonce un peu fièrement :
— Arrêtez les pendules.
Il y a deux heures, le bateau se trouvait exactement par 15° 51’ Nord et 78°
15’ Ouest, donc en mer des Caraïbes, et je vais même vous dire le cap
qu’il fait.
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