Quelques heures plus tard, la baie de
Sainte-Anne apparaît. Pascale dirige son bateau vers les premières bouées du
chenal d’accès au cul-de-sac du Marin, où l’attend déjà un bateau de
l’école de plongée de Dom piloté par Victor, venu à sa rencontre pour le
remorquer jusqu’à sa bouée d’amarrage. Certains amis plaisanciers
équipés de grosses annexes ont aussi fait le déplacement, car maintenant
toute la marina est au courant de l’histoire et se tient informée de ce qui
se passe aussi bien sur le Sirius que sur l’Ombre Blanche. Dom, à l’avant,
affale le foc, et Victor lui lance une aussière qu’il frappe à l’étrave.
Hervé roule la grand-voile et l’artimon. Pascale à la barre, n’a plus
qu’à suivre le bateau de Victor, qui les remorque jusqu’à la bouée C12,
où un employé de la marina vient les aider à s’amarrer. Elle se dit que,
depuis qu’elle a repris le bateau de son père, c’est la plus grande virée
qu’elle et Hervé aient faite en mer, et que, compte tenu des conditions, ils
ne s’en sont pas si mal sortis avec l’aide de Dom, qui a prouvé qu’il
n’était pas compétent seulement sous l’eau. Victor se met à couple de
l’Ombre Blanche et leur tend un sac contenant des bières fraîches, des
sandwichs et un bel ananas. Ils devraient être contents d’arriver, mais leur
joie est ternie par la pensée de la situation inquiétante à bord du Sirius.
Patrick arrive en zodiac avec encore des rafraîchissements. Murielle est
restée dans l’appartement, collée devant son ordinateur et son téléphone
pour rester disponible en cas de besoin. Des plaisanciers leur font des petits
signes de la main. On sent vraiment que toute la marina est suspendue au destin
de cette pauvre naufragée que Béa est en train de soutenir du mieux qu’elle
peut, au milieu de la mer des Caraïbes, dans des conditions
difficiles.
Puis, dans un autre registre et sans même leur laisser le temps
de souffler, la police arrive avec leur gros pneumatique noir qui se colle à
couple de l’Ombre Blanche. Les policiers envahissent le bateau sans
ménagement, sans se soucier que l’équipage puisse être fatigué, comme
s’ils avaient fait quelque chose de répréhensible en allant simplement
récupérer leur voilier en mer. Il fallait s’y attendre, mais peut-être pas
aussi vite et avec un peu plus de délicatesse. Ce bateau a été déclaré
volé. Il y a de fortes suspicions que des actions violentes s’y soient
déroulées, mettant en jeu une arme de gros calibre toujours présente à bord.
En plus, trois personnes ont été vues partir avec et seulement deux ont été
retrouvées jusqu’à présent. Tout ceci justifie une enquête approfondie,
avec en prime la mise sous scellés du voilier. L’équipage est juste
autorisé à éteindre les instruments, vérifier les vannes, et fermer les
capots. L’officier supérieur, se rendant peut-être compte de
l’anachronisme de leur attitude déplacée et dans un brusque accès de
pitié, leur dit de ne pas s’inquiéter. Le bateau va être fouillé et une
fois les constatations faites, il leur sera restitué. Par chance, ils sont
libres ! En attendant, ils sont raccompagnés manu militari sur le ponton où
Patrick les recueille et les emmène dire bonjour à Murielle, au quartier
général, dans son appartement voisin de celui de Pascale et Hervé. Depuis que
le Sirius est parti du Marin, elle n’a pas quitté son téléphone et son
ordinateur du regard, et Lilly trouve que sa maman n’est pas très disponible
ces jours-ci. Après les embrassades des retrouvailles, elle leur montre la
position du Sirius en temps réel sur son écran. Ils sont toujours au près
serré à sept nœuds minimum, voile et moteur. Si le vent tient au nord-est
comme il est actuellement, ils peuvent espérer faire route directement sur la
Martinique mais, à bord, ça doit être l’enfer. Pourvu qu’ils ne cassent
rien et qu’ils aient assez de carburant. Ils sont encore à deux-cent-quarante
milles d’ici. C'est plus de trente heures à leur vitesse actuelle.
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