Alex regarde les voiles et surtout la tête de
Nina qui s’inquiète et a de plus en plus de peine à tenir la barre, car le
bateau est surtoilé1. Il prend quelques tours dans le génois, puis, avec
l’aide d’Hervé, un ris2 dans la grand-voile. Pour aller au pied du mât,
Alex porte un harnais qui l’assure au bateau en cas de chute à la mer. Le
Sirius a un jour failli perdre Patrick, qui était parti faire l’acrobate en
mer sur l’échelle de bain sans harnais. Heureusement, il faisait jour et la
mer était maniable. Il a donc pu être ramené à bord sans difficulté. Cet
incident avait mis Alex de très mauvaise humeur, car il s’était senti
responsable, et depuis, il est encore plus intraitable qu’avant sur ce sujet
et ne veut voir personne de nuit ou par mer agitée sortir du cockpit sans être
attaché. Eric Tabarly, qui, lui, n’encourageait pas ses équipiers à
s’attacher pour ne pas nuire à leur liberté de mouvement et donc à leur
efficacité, a répondu à un journaliste qui le questionnait à ce sujet :
« Si un équipier tombe à l’eau, c’est qu’il n’avait pas sa place à
bord. ». Cruelle ironie du sort puisqu’il a fini lui-même par tomber à
l’eau de nuit en mer d’Irlande et ne put être récupéré. Donc, sur le
Sirius, on s’attache et ce n’est plus une contrainte. C’est un peu
l’équivalent de la ceinture de sécurité en voiture : on s’est tellement
habitué à la mettre que si on l’oublie, on ressent immédiatement un manque.
Alex passe peut-être pour un obsédé de la sécurité, mais il s’en moque :
il est sur son bateau, c’est lui qui décide, et ce n’est pas Nina qui le
contredira sur ce point. Pour l’heure, le bateau fonce en fendant la mer à
huit nœuds. C’est un plaisir de le voir voler sur les vagues rejetant des
gerbes d’écume de chaque côté et traçant derrière lui un sillage net et
parfaitement rectiligne. Hervé relaie Nina, qui commence à fatiguer à la
barre. Il ne connaît pas encore bien ce bateau, mais s’y fait vite, et
celui-ci semble lui plaire. Il dit qu’il le trouve puissant, avec des
mouvements agréables, ce qui fait plaisir à Alex. Nina va dormir un peu, tant
que son capitaine est encore sur le pont. Et vers minuit, Dom et Béa émergent
de la descente pour prendre un quart jusqu’à quatre heures. On dit que le
quart de minuit à quatre heures est celui pendant lequel arrivent les
problèmes, et dans le langage maritime pas toujours très châtié, on
l’appelle le quart des couilles. Bien qu’il ait souvent pu constater la
véracité du phénomène, Alex préfère ne pas y penser, surtout que cette
nuit, le bateau est poussé à son maximum. Pascale et Hervé vont se coucher.
Alex reste un peu avec Dom et Béa, puis va lui aussi se reposer, car il sait
qu’ils connaissent très bien le Sirius sur lequel ils ont souvent navigué.
Il peut le laisser entre les mains expertes de Béa, qui s’est installée à
la barre. Dom a un peu de mal à la tenir quand elle devient trop dure en raison
de son handicap au bras gauche dû à un accident de moto quand il était jeune.
Certains mouvements lui sont difficiles, mais heureusement, Béa est toujours à
ses côtés pour l’assister. Dom dit parfois qu’elle est son bras gauche.
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