Alex l’interrompt :
— Vous aviez quoi
comme affaires ? Un sac chacun ?
— Oui, des sacs de voyage. Un chacun.
Celui de Karine était bien plus gros que le mien.
— Normal. Donc, dans
vos sacs, vous aviez vos passeports ?
— Oui.
— Vous aviez des
téléphones ?
— Oui, un chacun.
— Des cartes de crédit ?
— Oui, aussi, une chacun. Vous les avez retrouvées ?
— Non. En
fait, on n’a retrouvé aucune trace de vos affaires, ni de votre présence à
bord. Comme si vous n’étiez jamais montés sur le bateau. Et ce Peter,
qu’est-ce qu’il avait comme bagages ?
— Quand on a embarqué, ses
affaires étaient déjà à bord. Il ne transportait rien. Dans sa cabine, il y
avait un gros sac de voyage noir assez classique que je n'ai jamais vu
ouvert.
— Est-ce que ce sac avait l’air plein ?
— Non, pas du
tout. En fait, il ne semblait pas y avoir beaucoup de choses dedans, mais je ne
me suis pas posé de questions là-dessus. On a dû supposer qu’il avait
rangé ses affaires dans les placards. Mais maintenant que tu m’en parles,
oui, c’est bizarre, ce sac à moitié vide qu’il gardait à portée de main.
Il aurait pu le ranger quelque part car ce n’est pas la place qui manque sur
ce voilier.
— Comment êtes-vous montés à bord ?
— On a embarqué
en utilisant un vieux dinghy retourné sur le ponton. Il nous a expliqué que
l’annexe était bien amarrée sur le pont en prévision du voyage et qu’il
était prévu de lâcher cette embarcation destinée à cet usage, et qui devait
dériver dans la mangrove pour être récupérée plus tard par le prochain qui
en aurait besoin. On était tellement heureux qu’on était prêts à croire
n’importe quoi. On ne voulait même pas voir que ce départ était bizarre à
cette heure tardive. Nous avons embarqué sur ce magnifique bateau et nous nous
sommes installés dans la cabine avant. Il a mis le moteur en route, allumé les
feux de navigation et les instruments. Une fois prêts, nous avons détaché les
amarres de la bouée et sommes partis. À ma surprise, il m'a tout de suite
confié la barre pour sortir du Cul-de-sac du Marin et j'avoue que je n'étais
pas trop à l'aise, la nuit, dans ce dédale de cailles que je ne connaissais
pas avec des bateaux partout, mais je me suis concentré pour bien suivre le
balisage. Heureusement, j’avais la carte avec ma position sur l’écran
devant la barre et Karine surveillait tout autour. On arrivait à peine à
croire qu’on partait pour le Pacifique sur ce voilier de rêve et pourtant,
nous étions partis.
Alex l’interrompt :
— C’est lui qui vous a
dit qu’il s’appelait Peter ? Comment était-il ?
— Assez grand,
mince, les cheveux gris courts, la cinquantaine et surtout, il boitait de façon
assez marquée de la jambe droite. Il avait même eu un peu de peine à monter
sur le bateau et j’avais dû l’aider. Il parlait bien français, mais avec
un accent étranger, plutôt espagnol ou portugais. Je ne sais pas exactement.
Il nous a dit que son vrai prénom était Pierre, mais qu’il s’était
toujours fait appeler Peter. Par contre, il n'a pas précisé son nom et on n'a
même pas pensé à lui demander, pas plus que lui, d'ailleurs, ne nous a posé
de questions sur nous.
— OK. Continue.
— Pendant la première nuit,
on s'est éloignés de la terre et, au matin, on était déjà loin au large. La
croisière commençait bien, le bateau avançait toutes voiles dehors. Karine et
moi étions aux anges. Peter avait l'air plutôt sympathique, bien que pas très
chaleureux ni expansif, et semblait content de nous avoir trouvés. Au matin,
j'ai voulu faire un bon petit déjeuner et, comme je ne savais pas trop où
étaient rangés les ustensiles, chaque fois que je lui posais une question, il
me répondait quelque chose du genre « Ça doit être par là, cherche »,
comme si ce n'était pas lui qui avait rangé la cuisine. Après tout, ce
n’était pas impossible. Au fil de la journée, on a commencé à trouver
certaines choses bizarres. On avait l’impression qu’il ne connaissait pas
bien son bateau. Non seulement il ne savait pas où se trouvaient les affaires,
mais il semblait souvent hésiter sur ce qu'il faisait. Ce voilier est très
sophistiqué et le gros accastillage est électrique. Les commandes des
enrouleurs sont rassemblées sur un tableau à côté de la barre, et les winchs
sont actionnés par de gros boutons situés sur les hiloires. À chaque fois
qu'il voulait toucher à quelque chose, il était perdu et se trompait souvent.
J'avais aussi l'impression qu'en fait, il ne savait pas naviguer. L'air de rien,
dans la discussion, je lui ai demandé depuis combien de temps il possédait ce
bateau, et il m'a répondu depuis six ans. Comme il a dû se rendre compte que
ma question n'était pas si innocente, il a rajouté qu'il avait toujours eu un
équipage à bord pour s'en occuper et le manœuvrer. Je n'étais pas vraiment
convaincu, mais tout allait si bien. Nous étions en route vers Tahiti sur un
magnifique bateau qui marchait à merveille. Si Peter avait besoin d'un
équipage, Karine et moi étions là pour ça et c'était encore
mieux.
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