Alex appelle l’Ombre Blanche et c’est Dom
qui répond. Les communications par satellite de bateau à bateau sont beaucoup
plus rapides, de meilleure qualité et beaucoup moins onéreuses qu’avec
celles avec la terre.
— Bonjour Dom, comment ça se passe ?
— On
avance tranquillement. On fait une route sud-est en privilégiant le cap sur la
vitesse. Le génois lourd fait bien son boulot. Je te donne notre
position ?
— C’est bon, Murielle vient de me la communiquer. Autrement,
par rapport au bateau, vous avez fait du ménage ? Vous avez trouvé quelque
chose ?
— On commence à y voir plus clair pour ce qui est du rangement,
par contre ce qui s’est passé à bord reste une énigme. Pour commencer,
j’ai réussi à extraire le chargeur du flingue, et il manque trois balles. Il
y en a une dans le vaigrage du carré, les deux autres ne semblent pas être à
bord. Apparemment, c’est un gros calibre. J’ai envoyé une photo à Murielle
et Patrick. D’après eux, c’est une arme de la police utilisée pour les
assauts par la BAC, le GIGN ou ce genre de cowboys. Il y a un numéro sur la
crosse. Donc, il leur arrive peut-être de temps en temps de se les faire
piquer. D’après Patrick, on a intérêt à garder ça pour nous, au moins
pour l’instant. On leur en parlera à notre arrivée. La priorité, c’est
d’essayer de retrouver les trois pauvres types à la dérive depuis trop
longtemps dans leur radeau, pas pour s’attirer des ennuis avec la
police.
— Bien. Ensuite.
— Le plus surprenant, reprend-il, c’est
ce qui manque : il est censé y avoir eu trois personnes à bord, qui seraient
donc parties en bib en emmenant leurs téléphones, car nous n’en avons
retrouvé aucun nulle part. À moins qu’il s’agisse d’électrosensibles
ayant piqué un bateau pour aller s’abriter des ondes au grand large, c’est
étrange. Ensuite, on n’a retrouvé que deux passeports à deux noms
différents mais avec la même photo. L’un était facilement accessible et
l’autre caché dans la doublure d’un sac de voyage. Les deux étaient dans
la cabine arrière. Il y a donc au moins un des deux passeports qui est faux, et
deux autres manquants. Il y a eu une bagarre assez violente à bord, qui semble
avoir commencé dans la cabine arrière. On a retrouvé des bandes de scotch
d’emballage. Il se peut que quelqu’un ait été ligoté dans cette cabine,
dont la porte a été défoncée. Il y a quelques tâches de sang, donc des
blessures, mais plutôt de celles que l’on peut se faire en se battant à
mains nues plutôt qu’avec des armes blanches ou à feu. Et c’est pas
fini.
— Vas-y continue.
— Le bateau a été vu piqué par trois
personnes, mais on ne retrouve de traces que d’une. Aucune trace d’une ou
deux autres personnes n’est visible à bord. À croire que le type qui s’est
installé dans la cabine s’est battu tout seul, ou que quelqu’un serait
monté à bord pour lui casser la gueule. Ce qui pourrait expliquer la coupée
ouverte, avec l’échelle qui a été descendue puis sans doute arrachée par
la mer plus tard. La corde avec la boucle qui a été retrouvée pendante le
long de la coque n’a pas pu être utilisée pour essayer de démêler
l’hélice, car il manque au moins deux mètres pour l’atteindre et plus
encore pour pouvoir travailler dessus. Par contre, elle aurait pu servir à
amarrer un bateau à couple vers l’arrière. Pour info, l’annexe du bateau
n’a pas été utilisée. Elle est restée attachée et même cadenassée sur
le rouf arrière. Nous l’avons libérée car, en cas de problème grave, nous
n’avons plus de survie.
— Bon, tout cela génère des tas de
possibilités auxquelles il va falloir réfléchir. En ce qui nous concerne,
tant que nous n’avons pas la preuve que nous nous trompons, nous continuons
les recherches dans la zone. Puisque dans tous les cas, il semble bien que ce
soit par là que le bib ait été mis à l’eau.
— Oui, c’est en tout
cas le plus probable.
— En ce qui concerne les passeports, prends-les en
photo. Je vais te communiquer une URL sur mon serveur à laquelle tu vas te
connecter avec le mot de passe que tu connais. À partir de là, tu vas avoir la
possibilité d’y envoyer les fichiers. Ensuite, tu les supprimes de ton
téléphone, tu vides la corbeille et tu le redémarres. Je serai alors le seul
à pouvoir y accéder et j’aimerais autant que tu n’en aies aucune trace
dans ton téléphone, car tu vas sans doute être questionné à ton arrivée.
D’autre part, si tu as des trucs importants dans ton téléphone, n’hésite
pas à utiliser mon serveur pour les sauvegarder de la même manière, parce
qu’à ton arrivée, la police va peut-être bien te le piquer, ainsi que ceux
de Pascale et Hervé. Envoyez aussi toutes les photos que vous prenez.
—
D’accord, je comprends.
— Donc, le jour s’est levé, je remets le
bateau en route et on tire des bords de vingt milles pendant toute la journée.
Bien sûr, l’idéal serait que l’avion arrive, voie le bib et nous
communique la position. Hervé, tu es là ?
— Oui, je t’écoute.
—
Normalement, les avions de recherche ont un MMSI spécial et un second
transpondeur AIS qui devrait s’afficher sur nos écrans avec le code 111, mais
je n’en ai jamais vu. Est-ce qu’ils utilisent vraiment ça ? En tous cas,
pour l’instant, je ne vois rien même à l’échelle maximum.
— Ça, je
ne sais pas. Je n’ai jamais volé sur ce genre d’engin. Je suis chauffeur de
bus, moi. Mais quand tu le vois arriver, tu peux toujours lui demander de se
signaler. Si ce n’est pas déjà fait, il allumera son transpondeur AIS et je
pense que tu pourras alors le suivre et enregistrer sa trace sur ton écran,
comme pour les navires.
— OK, merci. Je remonte sur le pont, j’entends
Nina et Béa renvoyer la toile. À plus. On reste en contact et on réfléchit
tous à ce qui a pu arriver à bord.
— À
plus.
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