En attendant, l’équipe au complet se rend
sur le ponton six de la marina au chevet du Sirius. Il est bien amarré à sa
place et attend qu’on vienne s’occuper de lui, car il y a de quoi faire. Une
fois la descente ouverte, on se rend bien compte à quel point ce bateau a été
malmené. Plus rien n’est à sa place, ce qui n’était pas enfermé traîne
sur le sol ou sur les banquettes ainsi que le contenu des placards qui se sont
ouverts sous l’effet des chocs dans les vagues. Les coussins qui ont servi à
caler la pauvre Karine et à l'évacuer traînent pêle-mêle dans le carré.
Tout est mouillé. Même ce qui se trouvait dans la cabine arrière bâbord est
maintenant par terre car il avait fallu la vider entièrement pour atteindre la
vieille trinquette rangée depuis dix ans dans un endroit où il n'était pas
prévu d'aller la chercher de sitôt ni surtout dans de telles circonstances. Il
y a beaucoup d’eau sur le sol et dans les fonds rentrée en cascade par la
descente ou les aérateurs au cours des plongeons dans les vagues et des
allers-retours dans le cockpit et comme beaucoup de matériel y est stocké, il
va falloir tout vider.
Après un moment d’abattement à se demander par
où commencer, ils se ressaisissent. Même les équipages des bateaux voisins
veulent aider. Ils leur montrent le journal France Antilles du jour où figure
en première page la photo du Sirius à son arrivée, amarré le long du ponton
sept, et où on voit Alex, Nina et Béa un peu hagards avec les traits tirés,
en compagnie du médecin colonel Vidol qui, lui, semble prêt à repartir.
Grâce à la participation de Patrick, l’article résume assez justement
l’aventure qui a permis de ramener les deux naufragés à bon port.
Pascale propose de sortir sa voiture de son garage pour pouvoir y
entreposer le matériel, car le plus simple est effectivement de vider
complètement le bateau. L’ensemble du matériel va passer par la grosse
voiture de Patrick. La marina lui a prêté un bip pour ouvrir la barrière
électrique qui permet un accès au plus près du ponton, et le transbordement
peut commencer. Alex s’étonne que l’on puisse casser autant de vaisselle en
mangeant des sandwichs et du pain d’épices. Sur le pont, la survie a été
pliée tant bien que mal et rendez-vous est pris avec l'entreprise spécialisée
qui s'occupe de ce type d'embarcation. Ils vont d'abord la gonfler pour
contrôler son état, puis faire l'inventaire de son armement, remplacer ce qui
doit l'être, recharger la bouteille, puis la replier et la ranger dans un
nouveau conteneur en espérant qu'elle n'ait plus jamais à en ressortir. La
trinquette explosée est transportée chez un voilier pour voir si elle peut
être sauvée ou s'il faut en faire une neuve, mais l'espoir est faible. La
vieille est rincée, repliée et rejoindra la collection des anciennes voiles
qu’Alex se félicite d’avoir gardées. Patrick a prestement démonté le
panneau solaire qui menaçait maintenant de s’envoler. Un métallier soudeur
allemand qui s’est récemment installé sur la marina vient redresser et
ressouder ses supports tordus ou cassés. Alex a contacté son assureur qui est
d’ailleurs le même que celui de Pascale puisque c’est lui qui avait
conseillé Raymond lorsqu’il avait acheté son bateau. La totalité des
dommages seront pris en charge dans le cadre du sinistre déjà déclaré pour
l'Ombre Blanche, y compris d'ailleurs les dépenses de carburant et autres
consommables puisque considérées comme ayant servi à sauver le voilier. Un
expert passera voir les deux bateaux dès que la police voudra bien rendre le
sien à Pascale, car il est toujours saisi et aucune intervention n'y est
possible pour l'instant. Les cinq amis vont maintenant emmener le Sirius au
chantier de réparation proche de la marina où il va être mis au sec. Le mât
sera déposé et l’ensemble des pièces du gréement vérifiées à la
recherche de celles qui auraient été déformées par des efforts excessifs. Le
moteur sera révisé dans les moindres détails. Tout ce qui a l’air fatigué
va être changé et ils vont découvrir une chose qu’Alex n’aurait jamais
cru possible. Le pied de mât, une grosse pièce en aluminium de deux
centimètres d'épaisseur où le mât est posé et calé, s'est fendu en deux.
Alex pense qu'il a fallu vingt ou trente tonnes de compression pour arriver à
cela et se promet de ne plus jamais mener un bateau à la dure à ce point, car
la casse n'était vraiment pas loin. Puis le mât est réinstallé et, après
application d'une peinture anti-fouling sur la partie immergée de la coque, il
est remis à l'eau. Après deux semaines de soin, il peut enfin rejoindre sa
place au ponton.
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